Jeter son mégot par terre, en toute impunité?

Quand on sait que le mégot de cigarette est un des déchets les plus toxiques pour l’environnement et pour la santé, on se demande pourquoi les pavés de la cité néo-louvaniste en sont quotidiennement jonchés. « Le sol n’est pas un cendrier », tel est le slogan que l’on peut lire sur les affiches – publiées par la Ville et l’UCL –  placardées le long du parcours de la Finlandaise, aux abords du Lac.

Ce déchet n’a rien d’anodin puisqu’à lui seul, il peut contaminer près de 500 litres d’eau (NDLR : selon la page Leo Not Happy) . Ce type d’infraction, quand elle est constatée, peut coûter une amende allant de 25 euros à 350 euros. Pourtant dans les faits, cette incivilité n’est que peu sanctionnée. Comment l’expliquer? La rédaction de RollingNews a mené l’enquête.

Dura lex sed lex

Que dit la loi au juste? Elle est inscrite au Moniteur Belge depuis le 24 juin 2013. Cet acronyme SAC désigne Sanctions Administratives Communales et est une amende pour tout individu commettant une incivilité à partir de 14 ans (uriner sur la voie publique, dégradation de bâtiment, jeter les mégots de cigarette dans la rue). Cette loi autorise la commune et la police à collaborer pour lutter contre des infractions de toute sorte, pour rester simple. Au niveau local, tout le territoire de la commune est sous l’autorité d’un même règlement de police. Les SAC s’établissent en deux temps :  d’abord, le constat de l’infraction est fait par un agent de police, ou dans le cas d’O-LLN par un fonctionnaire sanctionnateur indépendant, ensuite la sanction est actée par la commune et pénalisée d’une amende. La commune ne peut cependant pas appliquer une sanction administrative et une sanction pénale pour les mêmes infractions.

Un délit « mineur » ?

Pas une seule fois ce terme précis de « mégot » n’est repris dans le Règlement Général de police de la zone d’Ottignies-Louvain-La-Neuve alors que le terme « cigarette » y est mentionné  une unique fois, en son article 95 : « Il est interdit de déverser des graisses et huiles usagées dans les égouts, avaloirs publics et fossés, ainsi que d’y jeter tout objet ou matière, tels que notamment les cigarettes ».

© M.T pour RollingNews. Avaloirs sur la Place de l’Accueil bouchés par des déchets dont des mégots.

Le Commissaire de police de la ville, Yves Lagrange, précise que les mégots ne sont pas des déchets particuliers, mais englobés dans une règle plus générale et difficiles à mesurer du reste des infractions commises. « À l’article 80.3 prévoit de manière générale la propriété sur la voie publique : « qu’il est défendu de détériorer, d’endommager ou de souiller la voie publique et les bâtiments . Cette règle générale peut être utilisée par les mégots, pour un dépôt de sacs poubelle, etc. Il y a aussi un article qui prévoit qu’il est interdit de déposer des petites poubelles dans les poubelles publiques ». Il stipule aussi que les propriétaires d’animaux doivent disposer d’accessoires pour nettoyer les déjections, les dépôts clandestins, etc ».

Des flagrants délits rarissimes

Nous avons reçu des résultats partiels de statistique, ce qui explique la haute proportion des catégories « Autres » qui comptabilisent plusieurs infractions reprises dans le règlement. Si l’on suit l’analyse du Commissaire, il y aurait donc 5 SAC liées à l’article 80.3 soit 2,65% de probabilité qu’il s’agisse bien de mégot de cigarette. Cette probabilité n’est pas un chiffre réel et demeure impossible à vérifier, mais elle permet de donner une idée de la proportion d’infractions comparée, pour exemple, à celle des tapages nocturnes de 33% (soit 198 des SAC) pour l’année 2017.

En pratique, sanctionner pour un mégot reste exceptionnel et non prioritaire pour la police locale : «  pour les mégots, pour nous en tout cas, sincèrement ce n’est pas vraiment une priorité puisqu’on a quand même par rapport aux chiffres d’autres comportements qui eux, sont totalement intolérables comme les gens qui urinent sur la voie publique, il y a le problème de l’insalubrité et aussi de l’outrage public aux bonnes mœurs. Des gens, des enfants, etc., ne sont pas obligés de supporter de genre de spectacle-là, les déchets, les sacs, etc., sont pour nous des priorités. (…) Imputer à quelqu’un le fait de jeter son mégot de cigarette suite à notre présence est rarissime, je ne m’en souviens même pas une seule fois. C’est un peu comme les gens qui jettent des déchets par la fenêtre de leur voiture, ils ne vont pas le faire si on est en uniforme devant eux, c’est sûr (rires) ».

De 25 à 350 euros d’amende

Rare mais pas impossible. A Mons, depuis mai 2018, vient d’être instaurée une amende de 100€ en cas de jet de mégot à terre. À Ottignies-Louvain-la-Neuve, l’infraction reconnue sera validée par un fonctionnaire sanctionnateur. Bien que les agents de police peuvent relater les faits dans lesquels s’est déroulée l’infraction, ce fonctionnaire reste totalement indépendant de la commune ou de la police selon un arrêté royal comme nous l’explique Yves Lagrange : «  La personne qui s’est rendue coupable d’une infraction par rapport au Règlement Général de Police peut encourir, notamment, une redevance qui varie entre 25 et 350 euros. Cette amende est prononcée par fonctionnaire sanctionnateur qui ici à Ottignies-Louvain-la-Neuve, nous est propre, il y en a qui sont provinciaux. Ici, à la commune, des personnes dites «  de niveau A » gèrent les dossiers une fois que le constat a été fait. Ils convoquent les gens et déterminent les sanctions qui sont applicables. Cette sanction n’est pas nécessairement en termes d’argent, elle peut être une réparation ou un travail d’intérêt collectif. Il y a plusieurs solutions ».

… qui varie selon l’âge du contrevenant

« Il module sa sanction en fonction de l’âge, s’il s’agit d’un mineur l’amende ne s’élève pas plus que 175 euros et la médiation est utilisée. En général, ici, il y a quand même une majorité de majeurs en tout cas qui sont susceptibles de le faire donc ça peut aller jusqu’à 350 euros (NDLR : suivant l’article 4, §1°1). Le fonctionnaire sanctionnateur est tout à fait libre par rapport au montant qu’il/elle décide et le fait selon la propre jurisprudence qu’il/elle constitue au fur et à mesure des sanctions qu’elle prend, et des circonstances. Si la personne qui a jeté son mégot, pour le cas d’exemple, est virulente par rapport au policier qui lui fait la remarque ou plutôt indifférent et l’envoie promener, et que ce fait est relaté tel quel dans le constat, c’est sûr que la sanction sera peut-être plus importante que celui qui fait « amende honorable » et ramasse son mégot. Tout ça, c’est une question de circonstances ».

Ce qui fait débat : la prise de responsabilité face à cette pollution

Louvain-la-Neuve a cette particularité qu’une partie du territoire appartient à la ville et une autre à L’UCL (comme le Lac), à des particuliers, commerces et secteur HORECA. Julie Chantry (ECOLO) échevine à l’environnement pointe aussi la responsabilité de l’habitant.e, tout en rappelant aussi que la ville s’occupe des espaces publics et non privés : « C’est vraiment utile de s’occuper de la question des mégots, mais ça doit faire partie de la sensibilisation des utilisateurs comme pour beaucoup d’autres déchets. Augmenter le ramassage, augmenter les possibilités, rajouter des poubelles, etc. C’est bien, mais il faut qu’il y ait une part de conscientisation. On doit faire avec les citoyens qui doivent prendre leur part de responsabilité. »

© M.T. pour RollingNews Poubelles et cendriers publics près de la Place Rablais.

La question des mégots ne serait que la pointe de l’iceberg pour les différents acteurs. Il y a la gestion du nettoyage, du découpage territorial et du matériel mobilier urbain à disposition. La ville compterait 30 cendriers en rue, selon Dorothée Herbant , l’écoconseillère de la commune. Du côté des citoyens, on réclame plus de poubelles. Pourtant, l’initiative avait été tentée et générait d’autres incivilités et des risques d’incendie comme nous le raconte le Commissaire Lagrange : « Le problème est plus complexe que de dire qu’il n’y a pas assez de poubelles parce qu’on avait des poubelles sur le piétonnier de LLN au départ qui est étaient destinées aux petits déchets ménagers. Certaines étaient trop évasées et accueillaient des sacs poubelles presque entiers et donc on a dû réduire l’ouverture. Autre souci, toujours par rapport aux mégots, est qu’à partir du moment où vous stocker un certain nombre de déchets ménagers dans une poubelle et que vous jetez un mégot, on avait des incendies de poubelles (rires) et donc, on pourrait avoir comme à la sortie du commissariat, des cendriers tout à fait propres aux mégots, qui n’acceptent pas les déchets ménagers ».

L’appel à la sensibilisation et la mobilisation

Le 27 juin dernier a eu lieu la deuxième opération BeWAPP, initiative soutenue par la Région wallonne qui consiste à sensibiliser aux problèmes des déchets et à la pollution des espaces publics. Pour cette édition, l’attention s’est portée sur un déchet précis : le mégot de cigarette.  Selon la chaîne TVCom, les participant.e.s étaient plus d’une dizaine et ne se sont pas contentés de ramasser uniquement les déchets des fumeurs et des fumeuses. Cet élan citoyen fait également suite à la première édition du Ramass’clope dans la lignée du mouvement « Leo Not Happy ».

Des citoyen(ne)s nettoient leurs rues des mégots

Alors que le 21 avril dernier se déroulait la mobilisation citoyenne « Leo Not Happy » dans plusieurs villes du royaume, la ville de Louvain-la-Neuve n’y figurait pas. Ne l’entendant pas de cette oreille, un petit groupe de citoyen.ne.s a mené deux initiatives spontanées en mai, sous la bannière improvisée du « Ramass’clope ».

Ce mardi 15 mai 2018 à 14h, le clocher de la Grand-Place retentit deux fois. Nous devons rejoindre le Musée Hergé pour le point de rendez-vous, pour participer à une action citoyenne. Il devient difficile d’arpenter les rues sans voir que des mégots jonchent sur le pavé, au moins une dizaine sur 20 mètres. À 14h03, Valentine, une étudiante, arrive avec son sac, des bouteilles de coca vides et des gants en latex. C’est probablement l’attirail de fortune avec lequel nous allons devoir nettoyer les rues piétonnes de la ville. Il faut descendre vers le Lac, c’est là que commence la tournée de ramassage.

C’est d’elle que tout démarre, non sans le soutien d’autres habitant(e)s et étudiant(e)s. C’est elle qui  souhaite poursuivre l’appel du 21 avril, à l’échelle locale. Après une première mobilisation avec ses ami(e)s proches, Valentine poste sur le groupe de la ville, Ottignies-LLN, ma ville, un événement Facebook invitant les citoyen(ne)s à se mobiliser pour ramasser ces déchets le temps d’une après-midi. Ce mardi 15 mai, elle a organisé son « deuxième round », elle en explique ses motivations : « Je me suis dit que c’est dommage dans une ville comme Louvain-la-Neuve avec beaucoup d’étudiants, beaucoup de fumeurs a priori et effectivement, dans les faits, on a remarqué qu’il y avait pas mal de mégots qui traînaient autour du Lac. En ville aussi, on ne les remarque pas, mais quand on regarde un petit peu, il y en a beaucoup un peu partout (…), c’était dommage de ne pas avoir eu cette action-là. C’est de là que j’émets l’idée d’organiser cette journée ».

© M.T. pour RollingNews Constance et Valentine s’active aux d’un bac à proximité du lac où la concentration de mégots est forte.

© Manon T., Constance et Valentine s’activent autour d’un banc aux alentours du Lac. La concentration de mégots y est forte.

L’image de la pollution renvoie aux détritus de toute sorte, aux canettes, aux papiers et aux mégots. Si les mégots sont la première cible, pour Valentine, c’est à cause de leur impact environnemental. En effet, le mégot de cigarette est nocif pour l’environnement. « Pourquoi les mégots ? Parce que c’est le pire petit déchet qui existe. Dans un seul mégot, il y a plus de 4000 substances nocives et peut polluer jusqu’à 500 litres d’eau (NDLR : selon la page de « Leo Not Happy »). Ce sont des chiffres dont on se rend pas bien compte, mais qui sont colossaux et impactent énormément l’environnement et une zone verte comme le Lac de Louvain-la-Neuve. C’est aussi un déchet qui est très important comme le métal n’est absolument pas biodégradable, le temps de décomposition est colossal. » Le Lac a été symboliquement choisi pour la présence de la faune et la flore, mais également, car ce lieu est énormément apprécié des habitants et des étudiants.

Vif intérêt auprès des citoyen(ne)s, mobilisation timide

La communication du « Ramass’clope » s’est faite uniquement via les réseaux sociaux. Prévenir permet de faire la publicité et laisse du temps pour se déplacer et s’organiser, selon l’initiatrice, mais, force est de constater que l’engouement virtuel est toujours tangible, alors que le nombre d’intervenants sur le lieu de départ est loin du compte. Elle relativise : « En tout cas, le soutien des passants y était, mais pas dans les faits au vu du nombre de participants. Maintenant, sachant qu’on se rapproche du blocus et des examens, ça va sans doute être compliqué pour les gens de venir, ce dont j’avais conscience ». Un passant curieux par ce qu’il voyait, s’est étonné positivement de la démarche : « Ah, vous ramassez des mégots ? Vous avez déjà un sacré cendrier ! Moi, je n’ai rien à ramasser. Je ne fume pas », ce à quoi le groupe rétorque, sourire aux lèvres : « Nous, non plus, nous ne sommes pas fumeurs, bonne journée, monsieur! ».

« C’est important d’avoir un endroit dans lequel je vis qui est propre et je trouve que malheureusement, il y a beaucoup de déchets » Pablo.

Ils  et elles sont tout de même six étudiant(e)s à avoir scruter les abords du parcours et les alentours pendant trois heures. Pour Pablo, non-fumeur, l’important est d’avoir un environnement sain et d’aider  : « Je trouve cela important de faire un petit geste pour la communauté parce que ce n’est pas non plus à la commune de tout faire ». Constance, étudiante, nous explique la raison de sa venue : « Je pense que c’est important à notre échelle, d’agir pour la planète parce que si nous, nous ne faisons pas, je ne sais pas qui le fera. Qu’on soit fumeurs ou pas, on vit tous sur la même planète et c’est pour ça que je suis ici aujourd’hui ». Pour Amélie, elle trouve que l’initiative locale est une occasion de s’impliquer : « On a des amis fumeurs qui font quand même attention. Ce sera quand même un geste citoyen. Je trouve que c’est une super initiative. Il y en avait une à Bruxelles et savoir qu’il n’y en avait pas à Louvain-la-Neuve alors que les étudiants qu’il y a et qui fument, c’était dommage. Quand, j’ai vu l’évènement, je me suis dit, autant le faire. »

À la fin de la journée, le volume approximatif d’un litre par personne. En septembre prochain, Valentine a déjà fait savoir qu’elle lancerait le « troisième round ». Elle espère rallier le plus de gens à sa cause tout en ramassant de moins en moins de mégots.

© Valentine Cordier Quantité de mégots ramassés

La commune informée du phénomène

Le service environnement et le conseil communal ont été mis au courant de l’événement. Saluant la démarche citoyenne. Deux points importants reviennent autour des discussions sur les réseaux, comme l’installation de poubelles et cendriers visibles supplémentaires. Pour certain(e)s, il est important d’être plus ferme quant aux sanctions pour ces incivilités. Suite aux événements, un conseil pour la sensibilisation des fumeurs est tenu ce vendredi à 11h à l’antenne de LLN et le sujet de la dépollution des mégots sera abordé au prochain conseil communal, le 29 mai 2018 à Ottignies.