Le journalisme constructif, vers un nouveau paradigme ?

Jusqu’à ce dimanche 23 septembre 2018 s’est déroulée à Louvain-la-Neuve, la toute première édition du Festival Maintenant. Le thème névralgique en est la transition écologique, économique et sociétale. Elle aborde en cinq jours plusieurs activités comme des films, ateliers, débats. Le jeudi 20 septembre 2018 était programmé un débat sur la profession journalistique titré : « Les nouvelles positives, c’est aussi de l’info ». Sans filtre ni tabou, Hugues Dorzée (Imagine), Leslie Rijmenams (Nostalgie) et Felice Gasperoni (RTBF), la facilitatrice Yasmine Boudaka et une quinzaine de citoyens ont échangé sur l’essence de cette mouvance dans le journalisme, mais aussi sur leurs déceptions et craintes et surtout sur leurs envies, espoirs envers les médias. Récapitulatif :

Les témoignages ont été le moteur du débat qui a évolué en trois temps : présentation des médias, séquences de questions-réponses et, enfin, interactions collectives. Durant cet échange, plusieurs thématiques sous-jacentes comme la réalité économique, l’acte citoyen de choisir sa presse, l’importance du choix des mots ont été abordées.

De gauche à droite : H. Dorzée, L. Rijmenams, Y. Boudaka © M.T. pour RollingNews
Identités distinctes sur une même longueur d’onde

Chacun.e.s des journalistes invité.e.s ont voulu expliquer pourquoi ils et elles se sont inscrit.e.s dans cette dynamique définie comme « constructive ». Nouveau filigrane commun pour des médias différents au nom du pluralisme. Pour Hugues Dorzée, rédacteur en chef chez le magazine alternatif Imagine. Demain le monde se lance en premier et amène le magazine comme précurseur : « Moi, j’ai la particularité d’être passé d’un média meanstream généraliste qui était le Soir où j’ai travaillé pendant 18 ans. Depuis 5 ans, j’ai la chance de participer au redéploiement d’un magazine qui existe depuis plus de 20 ans maintenant et qui était déjà précurseur en 1996 sur les questions de transition ».

Felice Gasperoni et l’émission Alors, on change !  qu’il amine, en explique le pourquoi : « Ce sont des portraits des acteurs de changement, des gens qui se bougent parce qu’ils ne se sentent plus en phase avec la société actuellement (individualisme et hyperconsommation) et qui ont décidé de changer les choses à leur échelle dans leur vie, dans leur ville, dans leur entreprise. L’intention est de montrer de manière constructive que des gens trouvent des solutions pour le bien commun ».

Quant à Leslie Rijmenams, elle avance que son émission Y’a de l’idée s’inscrit dans une continuité par rapport au travail de ses confrères : « En 2013, on a créé la chronique citoyenne ‘Y’a de l’idée’ qui est dans la veine qu »Alors au change !’. On va à la rencontre de citoyens qui veulent changer le monde à leur façon, qui veulent l’embellir, l’améliorer en tout cas et de voir quelles sont leurs solutions, à leur échelle et aussi de s’inspirer de ce qu’il se passe ailleurs dans le monde et de voir si ça peut susciter un mouvement ici en Belgique ».

Le positivisme, la vie en rose ?

Le but n’est pas de nier la réalité qui peut être difficile comme des catastrophes ou des attentats. Le but est de choisir ses mots et de comprendre que ces mots ont un impact sur la perception du monde. Le journalisme dit « positif » ou « constructif » veut changer de ton et sortir d’une sphère anxiogène et dramatique que les nouvelles peuvent avoir. Leslie Rijmenams nous raconte comment elle a adapté son écriture journalistique : « En tant que journaliste, on a énormément de poids dans la façon dont on exprime les choses. C’est-à-dire quand il y a un bouchon sur le ring de Bruxelles, que ça fait le premier titre de l’actu et que l’on vous parle ‘d’apocalypse’ ou de ‘chaos’, la façon dont on va recevoir ce message va être totalement anxiogène. Maintenant, si je vous dis, en premier titre toujours, je vais vous parler exactement de la même chose, mais en disant : ‘Attention si vous prenez l’E40 ce matin, essayez de prendre une déviation. Tentez de prendre le train parce que ça bouchonne pas mal, vous êtes ralentis de vingt minutes, il faudra être patients pendant vingt minutes’. Votre perception des choses va être complètement différente ».

L’évolution du regard sur la transition…

Bien le sujet à proprement parlé sur la transition ne date pas d’hier, tous et toutes sont d’accords pour dire que le tournant médiatique s’est opéré autour des années 2013 et 2014 au moment de la sortie du film Demain (2015) et reconnaissent unanimement que « quelque chose est en train de se passer ». La transition selon eux, doit sortir de la catégorie propre et transparaître sur tous les sujets et surtout pérenniser dans le temps comme le résume Felice Gasperoni : « Chez nous, il y a eu une première phase avec ‘Alors, on change ! ‘ en télé et ‘Utopia’ en radio, où il y avait clairement une dimension ovni, c’est clair. Et puis, il y a eu le film ‘Demain’ et en 2016, à la RTBF, il y a eu un intérêt du public évident. Est-ce que ça été une prise de conscience ou la volonté de se dire qu’il y a un potentiel pour un public qui on va surfer dessus ? En tout cas, c’est de notre mission de service public d’y répondre. Il y a eu l’envie de marquer le coup avec une soirée prime time «’Demain, et après ?’ avec Jonathan Bradfer et Fiona Colienne. On s’est dit qu’en une émission, il résume trois saisons d »Alors, on change !’ A côté, il y avait la volonté de pérenniser cela derrière avec des rendez-vous récurrents. Aujourd’hui dans Tendance Première avec Véronique Thyberghein une chronique quotidienne consacrée à la transition ».

A cela, un interlocuteur a voulu témoigner de son changement professionnel qui l’a mené vers une presse qu’il qualifie « d’associative » et qui pour lui, est un intermédiaire entre la presse dite de qualité et la presse sensationnaliste : « J’ai travaillé une vingtaine d’années qui s’appelle le Vif/L’express. Il y a dix ans, je me sentais plus bien dans le journal, je l’ai quitté, je n’étais plus d’accord avec la ligne rédactionnelle, etc. Puis, j’ai abouti dans un journal « mutualiste » qui s’appelle ‘En Marche’ et, dans lequel, je n’avais jamais envisagé de travailler. Ce n’était pas du tout dans mon projet de carrière. Là, j’ai trouvé à ma grande surprise, et c’est là que je situe ce média comme intermédiaire plus technique et/ou associative, j’ai trouvé un journal dans lequel le souci de présenter le positif, pour se démarquer du spectaculaire, du réactif, du scandale. Ce souci était de mettre l’accent sur tout ce qui relie plutôt sur ce qui divise. Tout ce qui relie et novateur sans esbroufe à quelques initiatives, associatives ou autres ».

Une légitimité timide

Lors du débat, une interlocutrice s’est interrogée sur le fait de supprimer ou déplacer une émission en journée était une décision rédactionnelle, autrement dit, la décision des journalistes eux-mêmes. L’essence intellectuelle d’un sujet se conjugue aussi avec la rentabilité économique. Si une émission fonctionne, c’est d’une part parce que le public la « consomme », elle donc rentable, et d’autre part, c’est parce qu’il y a un intérêt de ce public, du moins, très simplement, pour Nostalgie et la RTBF. Pour Imagine, le modèle économique dit « alternatif » : il fonctionne à 60 % sur les abonnements selon Hugues Dorzée et la ligne éditoriale a été inspirée d’un panel de citoyens et professionnels.

Par ce constat, Felice Gasperoni souligne l’importance des enjeux sociétaux pour le bien commun que soulève la transition et qu’il y a un manque de prise de conscience : « C’est une bataille de – Hugues Dorzée : d’ audimat ? – de prise de conscience de l’enjeu et avec notre direction, on doit toujours se justifier, expliquer à nouveau, montrer qu’on est pertinent sinon on est perçu comme marginaux alors qu’on ne l’est pas parce qu’on traite de sujets qui touchent tout le monde. Nous suivre et partager nos contenus nous donne une légitimité ».

Leslie Rijmenams s’estime chanceuse d’être dans une rédaction où, au contraire, les choses vont de soi : « Notre directeur Marc Vossen qui fait partie de la ligue des optimistes, qui est un optimiste convaincu et voit tout le temps le verre à moitié plein et ça aide vraiment, et ça c’est vrai quand on a un supérieur hiérarchique dans ce move-là, c’est beaucoup plus facile de faire passer des choses que dans d’autres entreprises où l’on bloque des quatre fers quand il y a cette mouvance positive qui pointent le bout de son nez ».

Hugues Dorzée se réjouit de cette prise de conscience tout en mettant en garde l’opportunisme et la récupération par le greenwashing : « Tant mieux, je dirais et tout est bon à prendre. J’ai travaillé au Soir pendant 18 ans, je ne m’occupais pas de ces matières-là, mais je sais que mes collègues ramaient pour essayer d’imposer des choses. L’environnement, ça passait toujours après, les migrants c’est gentils, mais ce n’est pas sexy, le changement climatique, ok c’est préoccupant, mais bon, ce n’est pas trop grave, etc ? Je caricature à peine. Mais depuis quelques années, effectivement il y a une espèce de prise de conscience dans les rédactions, à mon avis qui est intéressante qui se traduit avec des pages, des ‘one shot’ aussi, on surfe sur des vagues où tout le monde s’engouffre et c’est ce que j’appelle parfois le  ‘journalisme girouette’ et ça m’inquiète ».

Le feedback de la mass critique

L’économie médiatique découle en partie de son lectorat, de vous aussi. Consommer de l’information peut devenir un acte citoyen pour celles et ceux qui le décident, car selon les journalistes présent.e.s, c’est le public qui décide de couper sa radio, télé ou de refermer son journal. C’est aussi à lui, en partie de faire remonter les bonnes informations aux directeurs de l’information : le fait qu’une émission plaise. En parallèle, si le contenu est suivi et commenté alors il y aura plus de poids dans la balance économique.

Avec les rires de l’assemblée, ces journalistes ont unanimement et sous des traits d’humour, demandé à chacun.e de réagir sur tous les écrans possible. Métaphore qui pose une nouvelle question, celle du sixième W dans le jargon des médias : What do we do now ? Que fait-on maintenant avec l’information ?

Manon Thomas

Journaliste d’un jour pour le Festival Maintenant