Thibaut Dervaux et Paschal Adans, compositeurs sur le jeu Asfalia Fear.

« Quand l’on commence à travailler dans le jeu vidéo et que l’on découvre la musique interactive, on veut en mettre partout et tout le temps alors que ce n’est pas toujours nécessaire »

Alors qu’ils se sont rencontrés en formation sur les bancs de l’IMEP à Namur, Thibaut Dervaux et Paschal Adans ont lancé leur entreprise Carte Son. Depuis le duo fait équipe dans le travail en plus d’être enseignants à l’HEAJ et à l’IMEP. Ils partagent les mêmes centres d’intérêts : la musique et la technologie, et surtout, les jeux vidéo. Avec leur parcours personnel et professionnel, leur histoire singulière s’inscrit dans la grande histoire de la Video Game Music, encore très peu documentée en Belgique francophone alors qu’elle gagne en légitimité dans les milieux académiques, même si le mouvement reste lent. Rencontre autour de la bande originale d’Asfalia® Fear : Panique au Manoir, jeu développé par Funtomata Studio (janvier 2025).

Propos recueillis par Manon Thomas

Manon Thomas : Quel a été votre parcours musical ? Votre premier contact avec la VGM? Vos influences ? et pourquoi la VGM ?

Thibaut Dervaux : « J’ai commencé la musique comme énormément de gens, enfant. J’avais huit ans et on m’a mis au solfège et quand on était à l’école, on avait souvent des cours à l’académie [ndlr : de Mouscron]. J’ai commencé par là en faisant du solfège et du piano qui était mon premier instrument. Le monde de la musique et plus particulièrement la part créatrice de la musique, m’est arrivé grâce au film qui est L’Etrange Noël de Mr Jack, que j’ai toujours adoré. Quand j’étais petit ce film m’a terrifié et en grandissant j’ai commencé à l’apprécier et, vu que je commençais à apprendre la musique, la question que je m’étais posée était : comment ça marche ? J’adore cette musique et je veux savoir pourquoi, comment on génère des émotions, etc. On ne peut pas prendre de cours de compositions quand on a dix ans donc j’ai d’abord fait le solfège et le piano durant mes années d’académie. A 18 ans, au moment du choix de mes études supérieures, je n’avais pas du tout pensé d’abord à la musique. Je pensais que cela allait rester un hobby, une passion. Et puis, je m’étais renseigné sur le Conservatoire royal de Liège en regardant la grille de cours. Quand j’ai vu que les cours n’étaient qu’en rapport avec la musique et que durant mes humanités je me désintéressais légèrement des matières générales et, sans études qui me bottaient… je m’étais dit : ‘faisons cela, faisons de la musique’ et je ne l’ai jamais regretté. Cela a plutôt commencé avant la musique de film. Danny Elfman est ma plus grande influence, carrément. C’est vraiment le compositeur de l’Etrange Noël de Mr Jack [ndlr : plus précisément Bienvenue à Halloween, (VF)], entre autres bien sûr, [M.T. : et des Simspon] qui est souvent associé à Tim Burton. Son style me plaît énormément et je pense qu’il m’a beaucoup plus influencé que je ne le pensais. Encore aujourd’hui, il y a encore des réflexes que j’ai qui viennent de mes longues heures d’écoute de Danny Elfman ». M.T. : « On le sent notamment dans les compositions pour Asfalia® Fear avec Overview 1 et Overview 2 ». T.D. : « Oui tout à fait, j’ai effectivement gardé cela en tête, c’était très conscient. Je joue aux jeux vidéo depuis que j’ai six ans, mais pour la musique de jeux vidéo, c’est arrivé plus tard étrangement. C’est la découverte de certains jeux indépendants dont l’univers musical m’a particulièrement parlé et qui m’ont fait me dire : ‘mais en fait, c’est cela que je veux faire’, comme le jeu Undertale [Toby Fox, 2015] dont je suis un énorme fan. Niveau musique, je me suis dit ‘ah ouais, trop bien’. Au début, je voulais faire de la musique de film et j’ai fini par me tourner vers celle des jeux vidéo ».

M.T. : Cela me fait penser à ce que disait Olivier Derivière, en 2018, que dans la musique de jeu vidéo, il y a plus de liberté que dans celle cinématographique parce qu’on connaît moins donc on laisse plus de liberté pour tout ce qui est créatif et langage musical ? Partages-tu cet avis ?

T.D. « Je suis complétement d’accord et en plus, on l’a senti avec Paschal du coup, on a un peu travaillé dans le film. Très souvent, alors que dans le jeu vidéo, on est plus vite intégré à l’équipe dès le départ, là où on a plus l’impression de remplir une commande dans le film en fait ».

M.T. : « C’est intéressant ce que tu dis, c’est totalement l’inverse de ce que déclarait Olivier Derivière justement, lors d’une conférence d’Audiokinetic à Los Angeles en 2018 : en caricaturant, l’idée était de dire que pour les développeurs, les compositeurs étaient des fournisseurs de fichiers wav ».

T.D. : « Ok, on a peut-être un peu de chance alors [rires] mais cela nous est moins arrivé. Il faut dire aussi qu’on a bossé que pour des petits studios indépendants donc il y a peut-être un côté un peu plus artisanal avec plus d’échanges que dans les gros studios comme Ubisoft avec lesquels il a bossé, ça c’est clair ».

M.T. : Et toi, Paschal, quel a été ton parcours ?

Paschal Adans : « Oula. Il va falloir remonter loin. Alors 1986, j’ai eu très tôt des contacts avec la musique. C’est très drôle parce que j’allais faire de la ‘rythmique et mouvement’ et du ‘pré-solfège’ dans les locaux de l’IMEP (Institut Royal Supérieur de Musique et de Pédagogie). Cette école de diplômés de pédagogie musicale et les étudiants proposaient des ateliers pour les enfants les week-ends et les mercredis. C’est comme ça que j’ai commencé et mon histoire est très liée à cette école parce qu’à quatre ans, j’étais déjà dans ces locaux. J’ai fait aussi l’académie que l’on appelait le Conservatoire de Jambes mais qui n’est pas un vrai conservatoire [ndlr : c’est un titre honorifique], où j’ai fait le solfège, de longues années de flûte traversière, piano, un peu d’écriture et encore les arts de la scène comme le théâtre et la déclamation… pareil où j’ai passé énormément de temps. J’ai fait aussi du chant choral pendant de longues années et j’ai fait vraiment beaucoup de choses durant ma jeunesse, pour revenir une première fois à l’IMEP en tant qu’étudiant en pédagogie musicale. Donc, j’ai fait mon AESI [ndlr : cursus, ancien régendat] en trois ans qui est une agrégation du cycle inférieur. En gros pour être professeur de premier cycle c’est-à-dire professeur de flûte à bec [rires]. Cela ferait enrager mes profs s’ils entendaient cela parce que c’est ce qui résonne le plus à l’oreille des gens malheureusement, mais on a tout appris sauf cela en fait ».

P.A. : « Je n’avais jamais enseigné au final et j’avais continué ma vie dans l’édition musicale et dans studios, mais j’avais mis la musique beaucoup de côté. Puis, j’ai repris, très fort sur le tard, à 35 ans, des études à l’IMEP de nouveau, en composition assistée par ordinateur, en informatique musicale, les mêmes que Thibaut [Dervaux]. Par contre, moi je n’ai fait que le bachelier et entamé le master sans le terminer, parce que justement, on a lancé Carte Son en même temps. On a commencé à très vite travailler, à faire des petits trucs et je me suis dit que je ne devais pas aller spécialement plus loin et que c’était plus important pour moi de travailler ».

M.T. : Et qu’est-ce qui t’a amené dans la musique du jeu vidéo ?

P.A. : « Parce que je suis un gros joueur aussi, je passe vraiment beaucoup de temps dans les jeux vidéo, plus qu’au cinéma ou quoique soit d’autre d’ailleurs. C’était vraiment un objectif. C’était de composer pour un jeu vidéo assez rapidement, sans trop savoir comment rentrer dedans, en travaillant ensemble Thibaut et moi. C’est vraiment parce qu’on a fait une rencontre un jour au KIKK Festival, un salon des arts numériques, en gros. C’est là qu’on a rencontré l’équipe de développement du jeu AgriLife (AgriLife Team, 2022) et en discutant, on s’est dit qu’on travaillerait bien ensemble et c’était notre premier contrat dans le jeu vidéo. On a commencé à travailler il y a cinq ans, parce que les temps de production d’un jeu sont longs, mais le jeu en lui-même est sorti il y a trois ans et on a travaillé dessus pendant un an ».

M.T. : Quels sont les défis que vous avez rencontrés en composant la BO d’Asfalia® Fear ?

P.A. : « Dans les défis, c’est de se comprendre avec les premiers morceaux sur le début [de la collaboration]. Je vais même remonter à Asfalia® Anger, le premier où on avait juste une seule track. Cela avait été très compliqué parce qu’on était organisé très différemment. On avait plusieurs attentes et chacun donnait son avis, la manière dont devait être la musique et nous avions notre idée aussi. Les avis n’étaient pas forcément convergents et finalement, quand on a été recontacté sur Asfalia® Fear […] pour la musique de la démo. Elle contenait le mini-jeu du vaisseau spatial [Ghost Invaders écrite en chiptune en 16-bits avec les logiciels actuels]. Là, pareil, on nous donnait beaucoup de références de style, de choses qui n’était pas forcément …, la communication était compliquée. Quand Jean-Go[bert de Coster, chef développeur et producteur d’Asfalia®] a repris, presque tout seul, la partie artistique, concernant la musique, on a eu plus de liberté ».

M.T : La partie artistique, veux-tu dire la direction artistique ?

P.A. : « Oui, c’est-à-dire […] on était libre de proposer, il donnait ses avis. Là où, au début, cela ne fonctionnait qu’à beaucoup d’influences et parfois contradictoires, autant après, cela a été plus de lâcher prise : ‘Proposez et on verra avec cela’ et cela s’est très bien passé ».

T.D. : « Cela a vraiment été en s’améliorant, il y a eu beaucoup d’écoute par la suite, je dirais. Avec Jean-Go[bert], j’avais des réunions régulières pour parler de ce que j’avais fait, tout ça. De plus en plus, ça devenait une discussion plutôt qu’avoir un chef qui me disait ce qu’il voulait. Cela a été très agréable de bosser avec lui. Il disait par exemple : « bah, je trouve qu’à ce moment-là, je n’aurais pas mis cet instrument-là, qu’est-ce que tu en penses ? ». C’était plutôt ça. Soit, je lui disais qu’il avait raison et j’essayais autre chose, soit je défendais le truc en argumentant pour le convaincre. Il me disait ‘ maintenant que j’ai ton explication, c’est bien comme ça ‘».

M.T. : Avez-vous discuté d’une éventuelle « transmission de flambeau » entre l’opus Anger et l’opus Fear pour la continuité dans la composition, avec Lukas Piel ?

T.D. : « Si c’est le cas, c’est plus une décision de mon côté. On n’a pas eu de rendez-vous avec Lukas où il disait comment faire. J’ai essayé de rester dans des intentions et des choix instrumentaux qui restaient similaires avec le premier, même si on entend la patte des deux compositeurs […]. Jean-Gobert de Coster m’a demandé d’utiliser le thème, ce qui est parfaitement normal, de Charlie [qui est repris dans le générique de fin]. Vraiment, la mélodie utilisée pour le thème principal a été composé par Lukas et je me la suis réappropriée.

M.T : Pourquoi avoir introduit des jingles dans l’OST d’Asfalia® Fear alors qu’il n’y en avait pas dans Asfalia® Anger ?

T.D : « Ce n’est pas notre choix [rires]. Les jingles, c’est-à-dire les tout petits événements musicaux qu’il y a de temps en temps ont été ajoutés sur la fin. C’est Jean-Gobert qui a demandé d’avoir un plus par rapport à la musique de fond. C’est une des toutes dernières choses que j’ai dû faire et je trouvais l’idée pas trop mal. Il me semble que Demute Studio [responsable du sound design sur le jeu] se chargeait de ces jingles. Comme par exemple, dans le mini-jeu où il faut reconstruire la statue [funéraire] de Muffin, le chat. A la suite de cela, on s’était dit Paschal et moi que ce serait plus cohérent que ce soit ceux qui fassent la musique qui fassent les jingles aussi. Certains jingles de chez Demute Studio ont été gardés aussi par choix du producteur ».

© Funtomata Studio Asfalia®Anger (2023) – Motif musical sur la paroi d’un mur de pierre.

M.T. : Utilisez-vous le middleware Wwise ?

T.D. : « De moins en moins … quand on a l’occasion de pouvoir l’utiliser, Paschal et moi sommes ravis. Cela fonctionne extrêmement bien et c’est très confortable, etc. Malheureusement, on se rend assez vite compte, que parfois, assez souvent d’ailleurs les développeurs préfèrent soit faire leur intégration eux-mêmes, soit préfèrent l’évolution des moteurs [de jeu]. On pense à Unreal notamment, qui a un système qui s’appelle Metasounds. Il ne fait pas exactement la même chose, mais on peut arriver directement au même résultat qu’avec Wwise. Je commence à me rendre compte qu’il commence à perdre de son « intérêt » au fur-et-à-mesure des années, ce qui me désole d’ailleurs [rires] ».

M.T. : Comment vous cordonnez-vous avec le programmeur Thomas Finet et Jean-Gobert de Coster pour implémenter la musique dans le moteur de jeu pour Asfalia ? Cette procédure a-t-elle des influences sur votre manière de composer la musique ?

T.D. :« On n’a pas utilisé Wwise pour Asfalia. A nouveau, je n’ai pas tellement interagi avec Thomas à une exception. Cela a plutôt été l’inverse tel que je l’ai ressenti : on me demandait des compos pour tels et tels moments, etc. Jean-Go[bert] me dirigeait quelques fois artistiquement s’il fallait une musique un peu plus longue ou tel instrument lors de discussions. Ensuite, je fournissais les fichiers audios et je n’avais plus de « nouvelles », c’est eux qui se chargeaient d’implémenter cette matière première. Je n’ai pas eu le cas, pour Asfalia en tout cas où j’ai dû changer la musique à cause d’un problème d’implémentation. Il n’y a pas eu d’impacts techniques pour nous. Pour Ghost Invaders, il avait été question que ce soit une musique qui soit une musique évolutive dans le sens où, en fonction de la progression du jeu, les instruments se rajouteraient. Ils ont fait le choix que ce ne soit plus le cas, mais qu’on ait une version complète plutôt vite, etc., cela dépend des studios, mais moi, cela ne pose pas de souci. Je suis engagé pour fournir de la matière, après ils en font ce qu’ils veulent jusqu’à une certaine limite, bien sûr. Je ne suis pas vexé pour cela, c’est leur boulot ».

« Ce qui était, à mon sens nécessaire. Moi, je préfère bosser avec cela pour avoir un minimum d’inspiration visuelle même si je sais qu’il y a des compositeurs qui ne préfèrent pas. Jean-Go a fait une réunion préparatoire avant de commencer quoi que ce soit, pour nous donner une ou deux directives : on sait que c’est un jeu pour enfant, avec un côté ‘cartoon irréaliste’. Ce ne sera pas du réalisme à fond et cela doit rester enchanteur, onirique ».

Thibaut Dervaux

M.T. : Beck Allen déclarait dans The Beep Book de Karen Collins et Chris Greening (2016), que: « vous ne pouvez pas aborder ce logiciel de manière linéaire, et vous devez l’aborder dans un état d’esprit interactif » (traduit de l’anglais), déjà en 1994 alors qu’elle travaillait chez Microsoft – début de la microinformatique. Elle parlait d’un programme informatique qui générait des progressions harmoniques. Que pensez-vous de cette posture aujourd’hui ? Comment infuse-t-elle dans votre processus créatif ?

T.D. : « L’interactivité est le point qui fait que la musique de jeu vidéo est de la musique de jeu vidéo, c’est que l’on peut, sans y être obligé, faire ce qu’on appelle la musique interactive, adaptative, interactive, etc., les gens utilisent des termes différents pour dire la même chose. La grande différence, c’est que ce n’est pas linéaire. Dans un film, on va d’un point A à un point B. Le spectateur va regarder le truc sans aucune incidence. Il prend le film avec ce qu’il se passe en synchro et c’est comme cela. Nous, dans le jeu vidéo, on peut très bien avoir un joueur qui va finir le jeu en douze minutes, un autre qui va prendre six heures. On ne pas prévoir qu’elles sont les capacités ou même les envies du joueur, et on doit penser à toutes ces personnes-là, en fait. On doit se dire, par exemple, typiquement pour Infinite Forest dans Asfalia, il a fallu se poser la question en se demandant : combien de temps vont mettre, en moyenne, les joueurs pour savoir quelle durée doit avoir notre musique, pour être certain qu’un maximum d’entre eux entende cette fameuse musique qui est adaptative et qui évolue pendant qu’on traverse la forêt ».

M.T. : Il y a l’auteur Chance Thomas qui conceptualise cela par ‘une mise à l’échelle du temps’, c’est-à-dire qu’il y a un temps effectif, comme tu le dis, on ne sait pas combien de temps ça va prendre à la joueuse de réussir l’action et c’est aussi pour cela que la musique est implémentée en loop [en boucle] ». P.A. : « et encore pas toujours. Pour infinite Forest, ce n’est pas une vraie loop ». [Ndlr : il s’agit d’un enchaînement de trois versions avec un leitmotiv musical commun donnant une illusion de loop alors qu’il s’agit plus d’une progression narrative par la musique].

M.T. : Je me permets de rebondir sur les autres compositions qui sont de nature d’underscoring ou d’ambiance, où la musique est implémentée en loop et la musique suit une logique narrative linéaire. Je m’avance en disant qu’Asfalia®Fear est tout de même un ‘jeu-conte’ qui a d’abord été pensé comme une histoire, comme un ‘film’. Il y a moins cette idée d’interactivité même si bien sûr, elle est présente. Dès lors, quelle a été votre posture créatrice pour composer pour le nouvel Asfalia ?

T.D. : « Oui, il y a eu beaucoup plus de musiques non-interactives que de musiques interactives dans Asfalia. C’est presque un film interactif Asfalia, d’une certaine manière. C’est une fable qu’on suit presque. A part, la forêt infinie, il n’y a pas tellement de musiques interactives. Dans ce cas-là, et je le dis souvent à mes étudiants [de] l’IMEP, justement. Pour leur apprendre comment faire de la musique interactive. Il y a un ‘danger’ quand l’on commence à travailler dans le jeu vidéo et que l’on découvre la musique interactive, parce que c’est génial [rires], c’est que l’on veut en mettre partout et tout le temps alors que ce n’est pas toujours nécessaire [ndlr : conseil qu’il avait lui-même reçu lors de son arrivée pour son stage chez Demute Studio]. C’est le cas d’Asfalia. Une musique non-interactive n’a pas forcément moins de valeur qu’une musique interactive, c’est juste que l’objectif n’est pas le même du tout. Il n’y a pas de jugement à faire là-dessous. Asfalia a été pensé comme des tableaux en parlant des niveaux du jeu. On peut vraiment parler de scène avec une identité musicale ».

Photomontage M.T/© Funtomata Studio – Transition sonorisée par du sound design (orage) entre deux musiques, déclenchée par une (inter)action. Charlie : « Ah ! On non, l’orage a dû leur faire peur. Je dois les retrouver ! ».

M.T. : Avez-vous eu accès au contenu du jeu en primeur ? Comment avez-vous fait pour travailler sur le projet et trouver l’inspiration ?

P.A. : « À la base, on a eu que des captures d’écran des zones en construction et des concept art en fait, des zones, puisqu’ici les musiques étaient essentiellement [pensées] par zones. On n’avait pas de synopsis, car on a été tenu dans le secret pour cela, sauf par des cas bien précis pour l’Ombre par exemple ou pour la forêt de nouveau, on savait quel allait être le déroulement. Jean-Gobert voulait une ambiance qui évolue justement, qui devienne de plus en plus sombre et de plus en plus chaotique. C’étaient des informations que l’on a eues en amont, et c’est pour cela qu’on l’a composée de cette manière-là ».

T.D. : « Ce qui était, à mon sens nécessaire. Moi, je préfère bosser avec cela pour avoir un minimum d’inspiration visuelle même si je sais qu’il y a des compositeurs qui ne préfèrent pas. Jean-Go a fait une réunion préparatoire avant de commencer quoi que ce soit, pour nous donner une ou deux directives : on sait que c’est un jeu pour enfant, avec un côté ‘cartoon irréaliste’. Ce ne sera pas du réalisme à fond et cela doit rester enchanteur, onirique. C’est lors de cette réunion où il a dit qu’on pouvait s’inspirer du travail de Danny Elfman. Bon c’est là, où j’ai levé les bras en l’air évidemment. Mise à part ces infos-là, on a eu globalement carte blanche et on a demandé les captures d’écran ».

M.T. : Pour l’instrumentation non-occidentale que tu as utilisée, le duduk pour le thème Shadow et pour Frozen Garden, notamment, as-tu dû faire beaucoup de recherches ? Quel élément te décide-t-il à choisir un instrument plutôt qu’un autre ?

T.D. : « Alors oui, c’est un instrument que j’aime beaucoup et je l’ai associé au thème de l’Ombre en général. Je n’ai pas fait beaucoup de recherches parce que c’est un instrument que l’on appelle plus ‘cliché’ [rires]. Il est très utilisé dans les jeux vidéo pour les niveaux désertiques par exemple. Il y a un côté très mystérieux. Cela fait penser à un serpent qui se lèvent comme ça, avec les fakirs qui jouent, il y a un côté qu’on associe au mystère de manière générale. Au moment où j’ai dû composer le thème de Shadow, il a fallu réfléchir aux instruments, aux harmonies. Souvent je démarre avec une mélodie et une harmonie qui me viennent un peu dans le même temps. J’ai besoin de m’imprégner pour nourrir mon imaginaire et mon inconscient. L’idée vient ‘me tomber dessus’ et je me dis ‘ah tiens, ça, c’est pas mal’. Je fais souvent un premier jet de la mélodie et de l’harmonie, ensuite je l’intellectualise et je modifie. C’est très instinctif au départ et puis j’intellectualise. Normalement, l’instrumentation vient après mais ici, c’était plutôt une évidence pour le duduk puisqu’on ne sait pas qui est l’Ombre, c’est un mystère qui est caché ».

M.T. : On arrive à la fin de cette discussion, avez-vous quelque chose à rajouter ? 

T.D. : « Non, cela couvrait pas mal de choses, c’est cool ».

« Nous sommes dans un plaidoyer de dialogue plutôt que de confrontation » 

INTERVIEW | Jonas Jaccard, chargé de plaidoyer pour SOS FAIM. L’ONG a participé au Conseil d’avis demandé par Zakia Khattabi sur l’arrêté royal « Export ban ».
Propos recueillis par Manon THOMAS, Célestin OBAMA, Emerence NAÔMÉ, publié le 28 avril 2023, modifié le 2 mai 2023.
Jonas Jaccard, chargé de plaidoyer pour SOS FAIM
Jonas Jaccard, chargé de plaidoyer pour SOS FAIM

Manon THOMAS : Qu’allez-vous faire si vos revendications ne sont pas entendues par le fédéral ?

Jonas JACCARD : Notre plaidoyer a un objectif : cesser ces exportations de pesticides interdits depuis la Belgique. Le cabinet de la ministre Khattabi avec le SPF Économie ont estimé que tous les produits concernés seraient moins de 5% du volume de la production belge. Nous sommes plutôt dans un plaidoyer de dialogue, de négociations plutôt que de confrontation. On reste assez positifs sur cette négociation. On a déjà un soutien de la part de la société civile, puisqu’on a une pétition avec près de 8000 signatures. Le vote de cette loi en Belgique est hyper important pour que la Commission européenne embraye et fasse une proposition.

M.T. : La loi « EGAlim » est pionnière en France avec ses failles. Quelle serait votre analyse pour améliorer le processus quant à l’export ban en Belgique ?

J.J. : Effectivement, il y a des failles [ndlr : les exportations de substances actives sont autorisées et plus les produits finis] qui ont été observées. Malgré les failles du dispositif en France, on a observé entre 2021 et 2022 que les exportations ont été divisées par 4. Même si le dispositif est défaillant, incomplet, imparfait, en tout cas il fonctionne. L’avantage qu’on a : on a appris de nos erreurs avec la première tentative en France. La ministre de l’Environnement [a pris] en compte ces lacunes et donc du coup l’arrêté royal de la ministre est quand même un peu plus complet à ce niveau-là. Les ONG ont fait un travail disons en « sous-marins », elles ont réussi à glisser dans un article de la loi un arrêt d’exportation, ce qui effectivement fait grand bruit au moment donné où la loi a été votée. Les industriels ont bataillé un peu pour faire annuler cet article en argumentant du chantage à l’emploi, tout comme en Belgique, avec 2500 emplois menacés. Quatre organisations françaises ont déposé plainte ou fait un recours devant [la Haute] autorité pour la transparence pour lobby mensonger. Selon Médiapart, les chiffres avancés aurait été grossis. Après 3 ans de bataille, certains arrêts d’exportation ont quand même été votés [ndlr : la loi a été votée le 1/1/2022] et on verra ce qu’il en est pour ce lobby qui est mensonger.

« Les ONG ont fait un travail disons en « sous-marins », elles ont réussi à glisser dans un article de la loi un arrêt d’exportation [en France], ce qui effectivement fait grand bruit quand la loi a été votée. »

Jonas JACCARD

Célestin OBAMA: Qu’est-ce qui explique la dépendance aux pesticides ?

J.J. : C’est une question complexe entretenue par les firmes agrochimiques en faisant croire que l’agriculture ne peut pas se passer de leurs pesticides. C’est l’inverse, elles sont dépendantes de l’agriculture pour assurer leur profit. C’est la technique des cigarettiers, l’industrie tente de décrédibiliser certains scientifiques pour montrer que les recherches sont biaisées. Elle va essayer de publier des recherches alternatives pour montrer que les pesticides sont nécessaires à cette production agricole.

M.T. : Comment allez-vous aider les pays importateurs « clients » des entreprises belges à trouver des alternatives aux pesticides ?

J.J. : C’est important de souligner qu’on ne fait pas de plaidoyer dans des pays partenaires et importateur. On n’est pas dans une logique de substitution de dire : « Bon bah allez, on va vous expliquez comment vous devez élaborer vos politiques publiques et agricoles ». Nous on fait du plaidoyer à destination de la Belgique par rapport à ce que l’on sait : la Belgique exporte des produits qui ont des dommages collatéraux dans des pays du sud (des morts, des empoisonnements chroniques, etc.). Ce qu’on prévoit de faire, ce sont des renforcements de capacités et de stratégies de plaidoyer déjà élaborées, dans des pays où des organisations ont déjà identifié des problèmes liés à certains pesticides pour arriver, par exemple, à obtenir des compromis de la part de leurs gouvernements locaux. Notre partenaire au Pérou est très actif sur le plaidoyer. Depuis les années nonante, ils travaillent sur la question des pesticides pour demander une meilleure prise en compte des risques liés à l’utilisation des pesticides dans leur pays. Notre plaidoyer n’est pas non plus hors sol, il fait écho aussi à des plaidoyers qui existent déjà dans nos pays partenaires.

M.T. : Quels sont les impacts et comment sont-ils mesurés, de l’exposition aux pesticides sur les populations autochtones ?

J.J. : Tout ce qui est dégâts, c’est quand même difficile à comptabiliser. Au niveau mondial, une étude scientifique de 2020 estime à 385 millions d’intoxications annuelles (de travailleurs agricoles, d’agriculteurs, d’agricultrices, etc.) et 11 000 décès par an liés à l’utilisation des pesticides interdits et non-interdits, dont 99% arrivent dans des pays du Sud [ndlr : étude de BIM Public Health]. Pour les produits qui ont été interdits, c’est pour des raisons cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques. Ils sont perturbateurs endocriniens et ils causent des dommages irréversibles avec des doses infimes. Cela donne de l’iniquité. Il y a plein d’exemples qui montrent que les compagnies agrochimiques savent très bien les dommages que provoquent leurs produits […]. Dans le cas du paraquat, un pesticide créé dans les années 50 et qui est utilisé depuis les années 70. Il y a des « Syngenta leaks », des lanceurs d’alertes qui ont lancé sur la gravité de ce produit qui est mortel et la firme l’a caché délibérément. C’est vraiment la stratégie des cigarettiers.

M.T. : Quelles sont les alternatives possibles aux pesticides ?

J.J. : Mes connaissances à ce niveau-là vont forcément être ce qu’elles sont, c’est-à-dire celles d’ un mec blanc qui habite dans une capitale et qui ne peut pas parler pour les agriculteurs et les agricultrices. Ce qui est sûr c’est qu’il y a des alternatives qui existent. Avec nos partenaires avec lesquels on travaille, ils mettent en place des projets et des techniques, par exemple, liées à l’agroécologie. Ce sont plus que des techniques agricoles, c’est tout un concept, je dirais, un mode de vie, une nouvelle façon de concevoir les relations, les échanges marchands, etc. Le problème est l’iniquité des financements entre des multinationales de l’agrochimie par exemple, et des petits producteurs. Ces alternatives-là, elles existent mais il faut juste un peu plus les promouvoir.

M.T. : Que répondez-vous au discours qui dit que « sans preuve de nocivité des produits, il n’y a aucun danger » ?

J.J : Les industries en connaissent la toxicité parce qu’ils sont enregistrés et évalués par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments. L’industrie joue sur certaines ambiguïtés. Celle entre danger et risque. L’un est les caractéristiques physico-chimiques de la molécule et l’autre, est le facteur d’exposition. Quand on dialogue avec l’industrie, elle va dire : « Ils ne se protègent pas assez et c’est pour ça qu’ils ont des risques liés aux pesticides ». L’entreprise ne prend pas sa responsabilité liée à la dangerosité du produit, elle la remet sur l’agriculteur.

« L’industrie joue sur certaines ambiguïtés, c’est entre danger et risque »

Jonas JACCARD

M.T. : Dans la loi européenne, les pays exportateurs sont censés accompagner les pays importateurs dans l’utilisation de leurs produits. Vous dites que ça ne se fait pas en réalité ?

J.J. : Dans la convention de Rotterdam, il est stipulé qu’il y a effectivement des notifications pour les exportations, donc le pays importateur doit donner son autorisation […] c’est-à-dire que théoriquement le pays a le droit de dire non. La convention est censée favoriser l’échange d’informations auprès des produits qui sont considérés comme dangereux. […] Les pays exportateurs, souvent les plus riches sont censé donner une aide et un appui financier pour favoriser le réseau d’informations et que le choix d’importer un produit soit fait en pleine conscience. Sur le terrain, il y a quand même un grave manque de ressources humaines dans des pays comme la République Démocratique du Congo, par exemple, où il y a deux-trois personnes dans le pays pour gérer l’ensemble des dossiers de demande d’importations de plusieurs centaines de pages. Des dossiers extrêmement compliqués qui ne sont pas forcément dans leur langue maternelle. Il y a vraiment une iniquité dans ce processus.

C.O : Comment les lobbys s’impliquent-ils au quotidien ?

J.J. : Dans la vraie vie, Syngenta est en compétition avec Bayer pour s’assurer des marchés. A Bruxelles, elles sont amies et regroupées sous des lobbys. En Belgique et au Luxembourg, ce sont Belplant et Essencia qui défendent de concert les intérêts des firmes agrochimiques […]. Pour cet arrêté royal, SOS FAIM a participé à un conseil d’avis, l’industrie était là pour faire valoir ses intérêts et défendre bec et ongles ce en quoi ils croient.

C.O, :  Ne défendez-vous pas vos intérêts pour avoir du financement ?

J.J. : Si on fait du travail de plaidoyer pour avoir plus de financement ? Absolument pas [rires]. Pour cet arrêté royal, on travaille avec la ministre de l’Environnement et un peu avec le ministre de l’Agriculture, aucun n’est notre ministre de tutelle. Par contre, nous faisons aussi valoir nos intérêts auprès de processus décisionnels. A la une nuance majeure et subtile qu’eux font du lobbying pour des intérêts privés, nous faisons du plaidoyer pour des intérêts de la société civile. Nous sommes rémunérés par de l’argent public.

M.T. : Avez-vous encore quelque chose à rajouter ?

J.J. : Cela pose juste question avec notre rapport à ça et les dégâts des pesticides sur l’environnement sont connus, reconnus en disant qu’il y a un consensus scientifique. Je trouve ça quand même assez déplorable qu’on en soit encore à batailler pour quelques petits produits alors qu’en fait il faudrait accélérer à vitesse grand V pour répondre aux enjeux dérogeant à la biodiversité.◘

Harald Franssen sort sa première BD sur la sécurité sociale belge

Harald Franssen est un auteur au cœur engagé et aux multiples réalisations. Quand quelque chose lui tient à cœur, il vous en parle avec conviction et avec un engagement presque viscéral. Pour lui, être Belge, c’est notamment bâtir une identité commune qui passe par la sécurité sociale. Ce papa et dessinateur a tenté ce pari de l’aborder dans sa première bande dessinée, intitulée Un coeur en commun  (ed. Delcourt, janvier 2020). Cette fiction historique est une oeuvre originale. Elle imbrique trois destins inspirés de l’Histoire, d’imaginaire et de vie. Retour sur l’origine de la BD et de sa sortie bousculée par la crise sanitaire du Coronavirus.

C’était quand cette première fois ? Celle où vous avez entendu parler de sécurité sociale ? Pour Harald Franssen, cette réflexion ne date pas d’hier et s’est nourrie au fil du temps avec des événements de vie. C’était d’abord avec sa première fiche de paie comme employé, nous explique-t-il : « j’étais assez déçu de mon salaire comme tout le monde et l’employeur m’avait clairement dit ‘mais tu sais, moi je paie beaucoup plus en brut’. Je savais qu’il y avait quelque chose à approfondir. […] ».

© Harald Franssen

Ensuite, la naissance de sa fille Louise en 2007. Son histoire insufflera l’héroïne de la BD. Alors qu’elle n’a encore que quelques semaines de vie, on lui diagnostique un problème cardiaque nécessitant une opération. Face à l’incertitude d’une telle situation et « pendant les moments creux », cet instant intime a ravivé son cheminement : « c’est vraiment à l’opération de Louise quand j’étais à l’hôpital, plongé dans tout ça. Je me suis demandé sur ce long séjour de deux semaines, […] ‘c’est quand même bizarre parce que chaque semaine je vais devoir payer les factures et ça va vraiment me faire très, très mal…’ . À chaque fois, j’étais surpris en voyant les montants, en voyant très bien les soins auxquels ma fille avait droit. Je savais bien évidemment, je n’étais pas totalement innocent, que la sécu existait et était derrière ». Avec toujours plus de questions : « ‘ d’où ça vient ?’, cette volonté de faire en sorte que les soins soient aussi bons marchés. A partir de quand s’est-elle mise en place et pourquoi ? Quelles sont les raisons derrières ça ? ». Des interrogations laissées en suspens dans son esprit puisqu’il s’était promis « de s’y intéresser, à ce sujet-là ».

Un jour de 2010 dans une librairie, Harald Franssen, a constaté que la littérature à ce sujet était vieillissante : « je m’attendais à trouver un grand rayon avec plein de bouquins et avoir du mal à choisir le bon qui soit le plus simple et le plus accessible possible. En fait, à ma grande surprise, il y avait deux ou trois vieux livres qui dataient des années nonante […] Ça m’a frappé », confie-t-il, avec une certaine stupeur dans la voix.

De l’évidence à la concrétisation

C’était encore plus clair. il y avait-là un projet inédit à mener. Conscient des difficultés latentes sur le plan personnel, Harald Franssen raconte : « […] j’ai fait du storyboard et donc j’ai travaillé dans le dessin animé. À un moment donné, je me suis considéré suffisamment armé pour me lancer dans mes projets personnels. J’en avais un qui me titillait depuis longtemps, c’était de raconter la sécurité sociale ». Rappelons qu’il est dessinateur depuis 2004.

Etat généreux
Le premier titre « Un état généreux » a été changé par l’éditeur Delcourt. Harald Franssen a accepté la proposition.

Fort de cette expérience, il décide de démarrer son projet en 2017 avec ses premières esquisses. Il les transportait dans son van aménagé, de ville en ville : « j’avais envie d’aller un peu à la rencontre des gens et de comprendre mon projet avant qu’il sorte, histoire de, parce que c’est difficile de sortir une bande dessinée aujourd’hui et que les gens en parlent, etc. […] Ce sont souvent des personnes âgées qui sont venues me trouver et qui ont grandi à une époque où l’on parlait beaucoup plus de cela, de la sécu, et de manière beaucoup positivement que maintenant ».

Planche
© Harald Franssen

Après deux ans et demi de lectures, dessins et écritures, la bande dessinée est achevée en décembre 2019, soit 75 ans après la signature du « Pacte Social ». Une coïncidence d’agenda et une occasion de marquer cet anniversaire historique pour Harald. Cela dit, il nous l’assure, ce n’était pas planifié : « à vrai dire […], je n’avais pas la date de sortie en tête et je pensais le faire en un an. Cela m’a pris beaucoup plus de temps donc ce n’était pas voulu à la base. Lorsqu’on s’est rendu compte qu’il y avait une date d’anniversaire des 75 ans du texte de loi, j’ai tout fait pour qu’elle sorte ».

Convaincre un éditeur de porter le projet a été une autre difficulté : « en août 2019, je n’avais toujours pas d’éditeur ni terminé la bande dessinée. J’avais eu des refus parce que ce n’est pas une histoire facile. Quand vous publiez un sujet pareil, ça m’a vraiment demandé beaucoup, beaucoup d’énergie parce […] qu’il a tous les travers qu’on évite. C’est un livre historique et ça n’intéresse pas les éditeurs sur une administration en plus ».

La fiction historique demande du temps et de la recherche

© Harald Franssen pendant son tour des villes, en 2018.

L’important pour le dessinateur de la BD a été de « raconter l’histoire d’une loi parce qu’une loi c’est vraiment ce qui influence notre vie de tous les jours ». Trois histoires s’entremêlent au fil des planches aux trois temporalités distinctes. Le récit majeur, celui des débuts de la « sécu », se déroule dans le passé sans être déconnecté de celui de Louise, contemporain. L’histoire de Louise est le point d’ancrage avec la question des soins de santé. Choix parmi d’autres « piliers » possibles selon Harald Franssen, comme la pension, le chômage, etc. Ce procédé de mise en abîme lie encore une troisième histoire d’un jeune garçon du siècle dernier, précarisé. Par ces trois récits, l’auteur propose sa tentative de réponse à ce pourquoi de la sécurité sociale, symbolisée par ce Pacte Social : « c’est important, car ce texte-là porte derrière lui un changement de nation vers une Belgique d’après-guerre en terme d’assurances. C’est un pays qui va permettre à beaucoup de personnes de vivre beaucoup mieux sur le plan social et économique ».

L’auteur construit sa narration avec analyse et distance, développe-t-il, « je fonctionne comme cela avec tous les sujets qui m’intéressent : j’attends toujours d’avoir les quelques semaines de recul pour que les articles de fond sortent et pour comprendre ce qu’il s’est vraiment passé. Les faits divers ne disent pas grand-chose. Quand on lit l’actualité au jour-le-jour, j’ai l’impression que c’est un bruit permanent. On n’y voit plus très clair finalement ». C’est aussi pour cette raison qu’il a arrêté de dessiner sur l’actualité du Coronavirus durant le confinement. Il a préféré travailler sur d’autres projets.

« J’ai toujours eu envie de raconter l’histoire d’une loi parce qu’une loi c’est vraiment ce qui influence notre vie de tous les jours » H. Franssen

Depuis ce jour de 2010 dans la librairie, il fallait bien continuer à chercher, mais où ? Comment se documenter sur un événement qui s’est tenu dans la clandestinité pendant l’Occupation où aucun procès-verbal n’a attesté de cette réunion ? Harald Franssen nous dit avoir lu les écrits et mémoires d’Henry Fuss et Joseph Bondas. Il nous dit aussi avoir recherché, sans bien savoir quoi au début, pour pouvoir préciser les choses au fil de ses lectures : « il y a des moments de déblocage où on a des bons livres et articles. Le livre ‘La sécurité sociale’ de l’historien de la VUB (Vrije Universiteit Brussel) Guy Vanthemsche. Je suis allé à la recherches des témoins à force de discussions. Je me suis aussi mis en contact avec l’historien qui travaille au SPF Sécurité Sociale ». Avant d’enchaîner, « j’ai fait cette merveilleuse rencontre avec Claire, la fille de Paul Goldschmidt qui était un des protagonistes de la première réunion que je mentionne dans la BD, celle du comité ouvrier et patronal. Il s’est réuni pendant toute la seconde Guerre Mondiale pour discuter de la sécurité sociale ».

Les retours positifs, surtout « des gens qu’il ne connaît absolument pas » réjouissent le bédéiste. « C’est vraiment un cadeau quand j’entends des enseignants qui disent à quel point, c’est une BD qu’ils ont envie de partager avec leurs élèves (…). Quand je travaillais dessus, il y avait les projets de réformes. Le dialogue était différent avec l’impression qu’il avait un rouleau compresseur en marche. C’était une volonté de témoigner pour les futures générations qui vont être confrontées aux lois qui seront passées avant leur venue ».

« Le trou de la sécurité sociale, c’est celui de la connaissance »

© Harald Franssen

Harald Franssen persiste et signe cette allégation déclarée à la RTBF, affirmant son engagement.
« C’est mon plus grand souhait et l’objectif de la BD » nous dit-il. Il regrette que le fonctionnement et l’histoire de la sécurité sociale ne soient plus enseignés au nom de la mémoire collective et du devoir collectif. Cette méconnaissance du système de la sécurité sociale complique sa compréhension, dénonce-t-il : « c’est l’institution la plus importante du pays, elle nous suit de la naissance à la mort. Qui en a entendu parler ? Ce système est complexe parce que son administration est aphone. On l’entend à travers les papiers  que l’on reçoit, on rencontre la sécu quand on en a besoin, […] A la base, c’est la volonté de simplifier et de centraliser le système, encore faut-il correctement l’expliquer ». Voire une volonté implicite pour réformer ce système : « mon opinion est de constater qu’il y a cette volonté et ce n’est pas propre à la Belgique. La plupart des pays européens ont une approche politique de la sécu d’essayer de la rendre la plus évanescente possible pour la réformer et le libéraliser. […] Une grande partie de la classe politique parle de réduire les prestations des soins de santé tout en disant de ne pas d’y toucher parce que la population y est très attachée comme à la sécurité sociale, dans son ensemble […].  Que les gens aient envie de changer de système, c’est une volonté que je peux aussi respecter. Mais, avant de le changer, il faut savoir aussi d’où il vient et pourquoi il a été pensé comme ça. Je crois que cela vaut la peine de le savoir parce que cela permet aussi de se positionner par rapport aux arguments entendus qui sont parfois totalement faux ». Harald Franssen fait allusion à l’une et l’autre déclaration de personnalités politiques écoutées à la radio, lors de son tour des villes en 2018. Il analyse que ce débat d’idée s’exporte avec les présidentielles américaines qu’il suit avec attention. Ceci le conforte dans l’idée que l’enjeu de la « sécu » soit celui d’une société avec ses déclinaisons nationales.

« Il y a une volonté de le réformer, de le libéraliser clairement. Que les gens aient envie de changer de système, c’est une volonté que je peux aussi respecter. Mais, avant de le changer, il faut savoir aussi d’où il vient et pourquoi il a été pensé comme ça » H. Franssen

Reprise postconfinement

Mi-mars 2020 sonne le confinement pour les Belges. Tout l’agenda se vide de jour en jour, Harald Franssen a relativisé, même s’il y a eu des hauts et des bas : « à partir de janvier, il y a avait des rencontres organisées et des organisateurs de festivals qui commençaient à s’intéresser au projet. Il y a avait toute une série de dates qui étaient bloquées pour les mois à venir. Ce qui est très enthousiasmant évidemment, ça demande beaucoup de travail parce qu’il faut faire suivre tout ça. Et puis, comme tout le monde, bon je m’y attendais, les e-mails d’annulation commencent à s’accumuler. Cela joue quand même un peu sur le moral (rires). Même si ça, c’est le côté un peu personnel, parce que c’est un peu déplacé de se plaindre alors que ça touche tellement de monde et d’autres personnes bien plus sérieusement que moi ». Durant le confinement, Harald Franssen a pris un certain recul et s’est aussi occupé des siens.

Actuellement, une exposition itinérante est en cours d’élaboration dont les dates sont encore à confirmer (initialement programmées en mai dernier). L’histoire de la sécurité sociale et aussi de la BD y seront développés, mais pas seulement, conclut Harald Franssen : « une des thématiques de l’expo, c’est justement : comment réunit-on cette notion du commun avec ce questionnement ontologique sur l’avenir de l’humanité ? C’est pour moi le centre de nos préoccupations sociétales sans oublier qu’il y a le contexte international, le changement climatique qui est très important, etc.».

Preuve que l’engagement d’Harald Franssen ne se confinera pas qu’au neuvième art.


Pour plus d’infos :

Un cœur en commun (éd. Delcourt) est disponible en librairie et sur différentes plateformes digitales
• De Nederlandse vertaling is nu ook beschikbaar
• Expo : au Centre culturel de Verviers dans le cadre du festival de la Résistance
• Livre « La sécurité sociale » de G. Vanthemsche : ISBN : 2804120163 – Parution 28/11/94 chez De Boeck Supérieur

Quand les signes chantent

Récemment sur la scène de Rendez-vous Grand Place le vendredi 29 septembre, Noa Moon a dévoilé la chorégraphie identique à son tout nouveau clip Alive (paru sur l’album Azurite, 2017). En ligne depuis le 22 septembre, le vidéoclip comptabilise près de 3.400 vues. L’originalité du clip est son accessibilité pour personnes sourdes et malentendantes. L’histoire, en plus d’être chantée, est traduite en langue des signes. Cette pratique reste encore occasionnelle, même si la présence de chansons traduites sur Internet est de plus en plus manifeste.

Visionner un clip est devenu un geste quotidien. D’un simple clic sur la toile ou sur une chaîne spéciale, les images défilent sur l’écran et la musique est fluide. Jusque-là, il n’y a rien bien neuf… À y réfléchir, on ne fait pas que regarder les images, on écoute bien évidemment la chanson. Mais, comment l’écouter quand on ne peut pas l’entendre ? Ce défi, Noa Moon le relève avec la sortie du clip d’Alive et vient ouvrir le répertoire belge vers le monde de la surdité.

L’envie d’ouverture

Le vidéoclip de Noa Moon a pu naître grâce à un travail d’équipe. C’est avec l’aide de Marie Couratin de l’ASBL APEDAF (Association des Parents Déficients Auditifs Francophones) et d’Alice Leidensdorf, youtubeuse et administratrice de la page Les Signes Font du Bruit (LSFB), que ce projet artistique a pu aboutir.

C’est le résultat d’une collaboration étroite entre les trois femmes. Marie Couratin, qui travaille pour l’aide pédagogique à l’APEDAF, a rencontré Noa Moon en 2016 via des amis communs. C’est par son travail et par son passé de choriste que lui est venue l’idée d’un premier projet : la création d’une brochure sur la musique et la surdité.  En parallèle, Marie a parlé de son envie d’adapter l’intégralité d’un concert à Noa Moon en chant signé. L’artiste continue toujours de s’investir dans le milieu des associations ou dans des démarches qui la touchent. À l’époque, l’artiste préparait son deuxième album.

Marie Couratin nous détaille comment l’éclosion du clip Alive, après un long moment de réflexion, est venue : « (…) On commence à y réfléchir et puis Noa Moon me dit que sa maison de disque lui demande de faire un clip, et je trouve qu’en lien avec le concert qui se prépare, Manon me dit qu’elle en a marre de faire de la musique pour « elle toute seule » et elle était assez ouverte à ce milieu de la surdité, pas pour faire bon genre de signer, c’était vraiment une envie d’ouverture vers le monde des sourds. Donc, elle m’a contacté et fait part de son envie de mettre quelques signes dans son clip. Je lui ai dit : « Dis, tu ne voudrais pas carrément tout ton clip en chant signes ? ». Alors, je ne suis ni interprète ni « chant signeuse » et je lui ai proposé de contacter Alice que je ne connaissais pas du tout et la collaboration a commencé comme ça ».

Pour la chanteuse, Alive dépasse l’unique ambition du clip promotionnel, c’est une main tendue vers ceux qui ressentent la musique autrement. C’est aussi une manière de sensibiliser le monde des entendants à une autre perception de la musique, et plus largement, à la perception de la surdité par les personnes entendantes. Noa Moon s’explique : « Je trouve qu’on n’en parle pas nécessairement énormément, la surdité est quelque chose d’assez discret dans le monde du handicap même si je me trompe peut-être (…), je pense que cela se voit forcément moins. Du coup, ce n’est pas pour cela que ça n’a pas besoin d’autant d’investissement dans la visibilité et l’aide pour ces personnes. Enfin de l’aide, je ne suis pas en train d’apporter de l’aide, mais d’essayer d’apporter une ouverture en fait à ce monde-là ».  Son impression est que l’effort d’adaptation est univoque, « ce sont les sourds qui doivent d’adapter au monde des entendants. Tout cela m’a touché et je me suis dit qu’on allait essayer de faire dans l’autre sens. (…) À mes yeux, c’était tout aussi chouette que de faire des photos pour une campagne de sensibilisation. C’est encore plus chouette de faire un clip et de se dire : « tiens, on fait quelque chose de durable qui va pouvoir rester un minimum sur Internet. ».

La poésie du geste pour parole

@ RTBF/auvio - Capture d'écran
Marie Couratin et Noa Moon sur la scène du « Rendez-vous Grand Place », 29 septembre 2017. © RTBF/Auvio – Capture d’écran

Apprendre la langue des signes ne s’improvise pas. Il a fallu quelques semaines à Noa Moon pour apprivoiser ce nouveau langage dont la technique est très expressive. « C’est très difficile en quelques sessions d’apprendre à signer avec les émotions et les expressions du visage. Ça m’a déjà demandé énormément de travail d’être aussi « lisible » au niveau de mon visage, et je sais que j’aurai pu faire encore mieux. (…) L’expression aurait encore pu être travaillée… Marie, se débrouille bien évidemment, mieux que moi », confie Noa Moon.

C’est grâce à Alice Leidensdorf que le texte a pu être traduit en signes. Contactée par Marie pour prendre part au projet, elle craignait que le clip ne reprenne que quelques signes pour l’esthétique de l’exercice plutôt que la réelle accessibilité envers les personnes sourdes. Elle s’est très vite rendue compte que ce n’était pas le cas, « Mais finalement, j’ai vu que Manon était très ouverte et motivée pour que ce soit vraiment un projet qui ait du sens pour les sourds. Elle était prête à apprendre toute la chanson. C’est comme ça que par après nous avons travaillé ensemble sur l’interprétation de la chanson ».

L’interprétation reste, la dimension la plus délicate dans cette traduction spécifique. Alice nous développe la principale difficulté  : « Comme la langue des signes est très visuelle, elle permet également d’aboutir plus facilement au sens même du message. J’ai voulu que l’interprétation parte vraiment ce qu’elle voulait faire passer comme message avec sa chanson à elle, et pas que ce soit une interprétation avec ce que je pensais comprendre, moi, de sa chanson. Du coup, le résultat repose sur un vrai échange entre Manon et moi, avec l’aide de Marie. Après elles se sont entraînées à signer la chanson, en essayant d’être plus expressives, avant le tournage, et voilà le résultat. Manon a aussi veillé à ce que les signes ne soient pas coupés dans le montage ou dans la manière de filmer, ce qui est vraiment chouette ».

La particularité de la traduction

À l’écran Noa Moon, accompagnée de danseurs, expose les paroles sous-titrées en anglais à travers la gestuelle officielle de la Langue des signes francophone de Belgique (LSBF). Par le chant dit signé, la chanson est à la portée de ceux qui ne peuvent pas ouïr. Et plus surprenant encore, elle l’est aussi pour les entendants, car la langue des signes peut être décodée grâce à ces sous-titres. L’ouverture devient double et réciproque.

Pour Alive, la chanson a d’abord été traduite en français, avant de l’être une seconde fois en langue des signes. Choix étonnant puisque l’on sait que la langue des signes n’est pas universelle, pour exemple, la langue française n’est pas signée de la même façon en France, en Belgique ou au Québec, même s’il existe des ressemblances entre les signes.

Noa Moon et Marie Couratin se rejoignent sur la même raison : la situation géographique de l’artiste. Noa Moon nous explique pourquoi il a fallu poser un choix malgré une réflexion autour de la question : « quand je me suis rendue compte avec Marie et Alice qu’on ne traduisait pas universellement, je me suis demandé quel parti je devais prendre. Après, ayant les pieds sur terre et sachant que ma musique tourne principalement en Belgique, (…), je me suis dit que j’allais traduire avec la personne avec qui je travaille, et c’était Alice, et on est en Belgique. J’espère que ça va sortir plus loin, mais Alive, était quand même en anglais, de base. On a donc traduit le texte anglais en phrase en français et, à partir de là, Alice a interprété. Ce que je voulais traduire c’est une histoire et pas des mots en particulier. C’est pour ça que les sourds et les malentendants vont pouvoir traduire les signes et si, ils se posent des questions, il y aura les sous-titres ».

Elle espère une large diffusion de ce genre d’initiative : « Je me dis que c’est la démarche qui est intéressante et qu’il n’est pas possible que d’autres personnes sourdes d’autres pays ne voient pas du tout où ça veut aller en langues des signes. Elles sont assez communes, et peut-être que je m’avance, mais pour avoir regarder quelques vidéos sur la différence des signes ça va quand même très vite. J’espère qu’il y aura une portée en dehors de la Belgique aussi. Sur le net, il y a quand même des vidéos avec des gens qui signent des chansons ou qui traduisent. Du coup, le plus chouette serait de voir que ça se traduit dans d’autres pays et que le clip tourne ».

Le message est lancé, à bon-ne entendeur-euse … et bon-nne signeur-euse.

Exemples de chansons francophones exclusivement signées connues,

  • Savoir Aimer – Florent Pagny, 1998
  • Je Vole – Louane, 2015
    … et bien d’autres (n’hésitez pas à nous le faire savoir).

Noa Moon : « Sparks est vraiment une chanson qui invite à s’écouter »

Cette interview est un peu particulière par sa formule, nous avons analysé, dans le cadre d’un travail universitaire, le single Sparks paru sur l’album Azurite, sorti le 21 avril dernier. Malgré les articles de presse, ou pour avoir écouté plus de 30 fois cette chanson … il nous manquait le point de vue de l’artiste, mais il nous fallait surtout la genèse autour de la création de Sparks. C’est par téléphone que nous avons eu cet entretien avec Manon Carvalho Coomans, alias Noa Moon.

Image : © Reflextor

Manon Thomas : Quelles ont été tes sources d’inspiration pour créer la chanson Sparks ? Est-ce aussi grâce à la mer du Nord comme tu l’avais déclaré dans plusieurs interviews?

Noa Moon : « Je ne sais plus où je l’ai composée celle-là…, en tout cas c’en est une des premières. Je crois que je l’ai composée chez moi … Mais, peu importe un petit peu, où j’écris les morceaux, il faut que je sois dans de bonnes conditions, c’est-à-dire : se sentir bien, avoir envie d’écrire ou ressentir quelque chose de bien précis pour pouvoir le retranscrire dans une chanson. Ce que j’expliquais dans les interviews : sur cet album, il y a eu beaucoup d’hésitations, beaucoup de recherches personnelles sur ce que je voulais raconter sur ce que j’avais à dire. Puis, il fallait que je parle de choses qui me parlent parce que, si je ne parle pas de quelque chose qui est lié à mon ressenti, je vais avoir du mal à le défendre sur scène. J’ai besoin d’être sincère et parler de chose que j’ai ressentie tout simplement ».

Prendre le temps pour cet album

« Ces deux ans d’écriture et d’enregistrement d’album ont été deux ans où je me suis posé énormément de questions avec des flottements. Je n’arrivais pas à savoir comment m’écouter. Sparks (NDLR: étincelles) parle de ça, de la capacité à savoir s’écouter. On m’a toujours dit d’écouter ma voix à l’intérieur. On a tous un espèce d’instinct où l’on sait que quand on doit faire quelque chose ou de ne pas le faire. Cette espèce de lutte entre l’ombre et la lumière que l’on peut avoir entre. Il y a des gens qui disent que, dans la vie, on décide de nourrir à côté ou l’autre, je ne pense pas que ce soit si noir et blanc justement. Cette lutte-là est parfois dure à vivre pour certains, et Sparks est vraiment une chanson qui invite à s’écouter. Dans chaque chose négative qui peut arriver dans une vie, on peut en apporter une positive cachée derrière. (…) Il y a tout le temps des choses à traverser ou à gravir et on en est capable. (…) je suis assez fort dans la métaphore ».

Considères-tu Sparks comme une chanson de rock ?

« Je ne sais pas du tout où elle se situe et je ne connais pas les critères « rock », mais je dirai que c’est plus de l’electro-pop et encore il y a un truc un peu « tribal » dans les percussions (…). J’avais envie d’une ambiance un peu plus jingle, plus directe. Il y a énormément de musiques du monde qui sont ultra directes, et où le rythme nous prend directement. Parfois, je trouve que c’est quand il y a le moins d’artistes autour que la musique va directement au coeur, comme dans la musique africaine que j’ai beaucoup écoutée. Parfois, il n’y a pas du tout d’arrangement, mais il y a une manière de faire des sons de la musique du monde, qui ont et un rythme et un son…. presqu’une note dans les percussions. C’est ce que j’ai voulu pour Sparks comme mouvement mélodique et rythmique. C’est parti d’un hasard aussi, car j’ai trouvé une partie rythmique déjà prête dans une banque de son, je n’ai eu qu’à la placer dans mon programme, Sparks a été articulée autour en fait. Par rapport à la démo originale d’ailleurs, il y a beaucoup moins de claviers que dans la version de l’album. Le rythme me permet d’avoir des tableaux des chansons et, en fonction de cela, j’écris le texte sur ce que cela m’inspire ».

On sent que la chanson est une histoire …

« C’est une des rares chansons qui est un peu contée sur l’album comme Night Walk et Kaléidoscope. C’est une progression plus qu’un enchaînement de faits. C’est aussi ma manière d’exprimer les choses en général, mais de façon plus forte ».

Souvent, tu déclares ne pas te considérer comme musicienne, pourtant tu es à la base de la création. Peux-tu nous en dire plus ?

« Disons que je compose sans pour autant gérer des instruments, mise à part la guitare, mais pour le reste c’est un peu de l’expérimentation. Ce n’est pas comme si je prenais mon clavier et que je savais exactement ce que je voulais jouer, ou quel son je recherchais. Un musicien, c’est quelqu’un qui peut recevoir des demandes aussi, pas tous, ce n’est pas une caricature. Sur cet album, j’ai bossé avec un programme informatique dans lequel il y a une bande de sons. Du coup, il y a plein de sons différents. J’ai un clavier MIDI que je branche sur mon ordinateur. Mais, il y avait trop de sons, je ne savais pas quoi choisir. J’ai eu besoin de personnes qui pouvait amener mes compositions à quelque chose de plus musical et de plus précis en fait. En dehors, de la musicalité, il y a tout un côté technique que je ne gère pas. Parfois, je n’arrive à reproduire un son que j’entends sur d’autres disques que j’aime bien. Quels choix à faire aussi ? Quelle sorte d’instruments prendre ? Quel choix de synthés ? etc. Tout cela, je suis assez limitée, mais ce n’est pas un souci parce que, ce que j’aime c’est composer et trouver des mélodies. J’ai plus envie de dire que je suis mélodiste que musicienne et auteur parce que j’écris mes textes ».

Ne pas tout connaître de la musique préserve sa spontanéité artistique

« Je trouve ça génial aussi d’aller, de façon un peu maladroite, d’essayer des sons. Si tu connais trop aussi les sons, il y a des choses parfois moins folles qui peuvent sortir de la musique. Par exemple, quand je découvrais un son de clavier, j’essayais de mélanger avec le son de ma guitare électrique. Peut-être que quelqu’un m’aurait dit, avant, ça va être dégueulasse, ne le fais pas, et enlever le côté spontané. Il y a ce côté innocent qui est chouette aussi de faire de la musique sans tout connaître d’un point de vue technique ».

Tu trouves que ton album n’est pas assez engagé. Que sous-entends-tu par-là ?

« Je crois que c’est un mélange d’engagements artistique et personnel. Je me dis qu’il y a encore tellement d’injustice encore aujourd’hui pour lesquelles on peut se battre. Cela m’a toujours touché, moi, dans la musique. Surtout quand j’ai commencé à écouter de la musique, mais de manière un peu plus consciente quand j’étais adolescente. J’écoutais beaucoup de trucs sur la période Woodstock. Il y avait des idées, des choses à défendre. Je me suis toujours dit que si j’étais née dans ces années-là, ça m’aurait trop fait plaisir d’essayer de véhiculer des messages positifs ou d’essayer de faire bouger des idées. Aujourd’hui, je crois que j’en ai tout à fait les moyens et que je ne fais pas nécessairement. Que ce soit pour plein de causes différentes, car en 2017, il y a encore pas mal de choses à faire et il y a trop d’exemples ». (NDLR : pour rappel, Noa Moon a été la marraine d’Action Damien en 2014 au Congo et a participé aux Francofolies de Kinshasa).

As-tu quelque chose à rajouter ?

« Merci de m’avoir donnée la parole (…) et puis que l’album plaira au plus de monde possible« .

Noa Moon est disponible sur sa page Facebook et retrouvera le public aux Fêtes de la Musique à Bruxelles, le 24 juin, le 22 juillet aux Francofolies de Spa et le 5 août à Ronquières.